Extrait du texte «Trou Noir» de Dario Larouche

La scène est une ardoise noire.
Suivez-moi bien.
Voyez.
Je pars de la base.

Une scène vide.
Dans ce bâtiment.
Dans ce lieu.
Là.
Sous mes pieds.
Là.
Dépouillée.

Une scène vide mais ouverte sur les possibilités.
Parce que déjà, oui, le théâtre agit.
En y faisant converger les regards.
Vos regards.
Selon un seul point de fuite.
Unique.
Focal.
Un centre éminemment spectaculaire.
Mais sans aucun superflu.
Moi.

La machine scénique se met en branle.
De votre côté comme du mien.
Là.
En ce moment même.
Pour peu qu’on y porte attention.

Je suis ici.
Debout.
Transie.
Dans la lumière nébuleuse.
Dans l’artifice électrique.
Dans les présupposés de vos regards.
Dans votre horizon d’attente.
Ma théâtralité.

Il pleut.

La contemporanéité me définit ainsi :
Froide.
Sans âme.
Presque hiératique.
Une forme plus qu’une fiction.
Une figure plus qu’un personnage.
Une voix.
Solide.
Claire et maîtrisée.
Puissante et assumée.
Une voix de monologue.
Une voix de soliloque.
Une voix de paroles qui tombent.
Une voix de mots qui claquent comme des gouttes de pluie.

Car enfin, oui, il pleut.

Bien sûr, l’illusion est proportionnelle à l’effort de votre imagination.

Je dis donc qu’il pleut.
Ce pourrait être poétique.
Mais l’intention n’y est pas.
Il pleut.
Une pluie épaisse.
Une pluie aussi banale qu’étonnante.
Une pluie sublimée.
Évocatrice d’une ambiance, d’une intériorité.
Un jeu de contraste verbal riche pour l’imagerie mentale.

La scène est vide.
Voyez.
La scène est vide et pourtant, il pleut.

Peut-être est-ce la saison.
Qui sait…
Peut-être.

Ma scène est vide.
Comme une force contenue.
Une compression dynamique.
Un big bang prêt à donner les trois coups.
Prête à éclater dans toute sa splendeur.
Prête à devenir un réceptacle.
Réceptacle de la convention.
Réceptacle du code.
Peut-être même du doute qui ne manquera pas à poindre.
Du mien.
Du vôtre.
Comme un brouillard tenace.
Parce qu’il pleut.

La signification couve sous les couches d'informations.
Là.
Le sens attend.
Offert.
Et pourtant, tout reste vide.

Comme un très long silence.